Pourquoi lui ?

Puis, vous accueillant, Gilles Rieu parle, beaucoup, et vite. Il y a comme une urgence à expliquer, à montrer. Ses phrases sont des croisements de souvenirs et d’avenir. Elles sont le glissement et les sursauts d’une écriture qu’il dessine, la précision d’un croquis, la rapidité d’une esquisse. Sa façon de parler, on la retrouve dans ses toiles : un grouillement de paraphes, de signes de mots et de phrases d’où surgissent comme au creux de l’estomac, saisissant, le souvenir d’un visage ou d’un lieu, témoins d’un moment particulier. La mémoire joue des tours qui vous assaillent. Son atelier, ses toiles et lui en sont le réceptacle, le medium et le passeur. Son atelier, ses toiles et lui, grouillent de Vie.

Gilles Rieu semble sans attache. Comme s’il avait un jour largué les amarres. Ce qu’il a fait et ce qu’il va faire pourrait être froissé d’un geste s’il n’était pas inscrit sur la toile. Christian Schmidt  disait de sa peinture  « … moi, elle m’a fait penser à un journal abandonné dans un compartiment de chemin de fer… où je me rendrai compte que c’est une langue que j’ignore…». C’est là tout le contraste entre un travail méticuleux, un travail de mémoire, précis dont on peu dire comme Jean Andreu qu’au contraire du Moyen Age où les enluminures éclairaient l écriture,« ici l’écriture enlumine le tableau » et l’enthousiasme presque destructeur , la légèreté et la désinvolture de celui qui de toute façon va reprendre le large ;Vous planter là.

 Gilles Rieu est attachant, mais libre.

Gilles Rieu

On pourrait s’appliquer à décrire et décrypter l’œuvre de Gilles Rieu, mais certains l’ont déjà fait, qui ont laissé au gré des catalogues  et des préfaces de très beaux et très sensibles éclairages. J’irai donc vous présenter cet artiste, comme nous même l’avons rencontré et comme il le souhaite aussi car pour lui un peintre, sa peinture,  c’est d’abord une ambiance.

Ce sont des amis qui, apprenant notre projet de galerie, nous ont annoncé son départ imminent vers la Martinique pour s’y installer. Quelques jours plus tard, nous faisions sa connaissance au cours d’un week-end portes ouvertes de son atelier, et nous n’aurions pas été étonnés d’y trouver une valise ou un sac à dos prêts à partir.

Gilles Rieu se qualifie de globe painter.

Dehors : la rue toute grise et terne ; dedans : une lumière crue et blanche tombant du plafond, mêlée à celle plus jaune et chaude des lampes posées ça et là, grimpant, hors des abat- jour, à l’assaut des toiles posées à proximité. Contre les murs, retournées ou pas, dans les replis de ce vaste atelier, celles qui sont « finies », côtoient celles qui vont partir, celles qui reviennent… de New York, de Guangzhou, ou d’ailleurs. Elles vivent ainsi à la lueur des lampes, repliées, chuchotantes, pendant que sous la lumière vive du milieu, comme dans une salle de danse,  Gilles Rieu  peint, s’agenouille ou se lève sur une toile déroulée.